Présentation de mon travail

Chère amie,

Je trouve votre travail très intéressant.

Commençons par dire que le travail vaudrait par lui-même, aux yeux d’un spectateur non prévenu de vos préoccupations et qui ne lirait pas les titres de vos oeuvres, par l’équilibre entre deux choses : d’un côté la géométrie des éléments assemblés, celle des motifs, la franchise des couleurs; et de l’autre, la présence de la texture, celle de couleurs en bémol, du tremblé, de la photo, qui parce qu’elle renvoie au monde de l’eau, introduit l’indécision des lignes, et dont la facture jette le doute sur la référence.

Mais l’intérêt se dédouble lorsque l’oeuvre entre en contact avec le titre, ce qui induit un double jeu de conformité et de décalage avec les codes de balisage.

Le premier effet est de renvoyer globalement à un univers qui a toujours fait rêver — “homme libre, toujours tu chériras la mer” —. Mais d’y renvoyer non pas par le biais de la poésie des grands espaces, mais bien par la technicité du métier de la mer, dans ce qu’elle a de plus formalisé (aux côtés de sa terminologie spécifique), voire de plus coercitif : chaque pavillon renvoie en effet à un ordre, ou à un avertissement.  Mais ici, on est arraché aux circonstances maritimes. Le regardeur est donc devant un ordre ou un avertissement dont la potentialité, ou la généralité, débouche sur un nouveau mystère : quel est ce danger isolé dont on veut me préserver ? à quoi servent ces filets ? qui est dans ce désarroi à quoi renvoie l’expression “je suis désemparé” (un terme technique qui retrouve tout à coup le sens moral qu’il a dans la langue de tous les jours) , pourquoi ce désarroi ? Peut-on être sûr de ce pilote qui pilote notre vie ? Et la demande déchirante qui est celle de toute notre culture, et à laquelle toutes sémiotiques réunies sont impuissantes à répondre : “communiquez avec moi”.

Mais l’intérêt est évidemment plastique.

D’un côté vous suggérez une fidélité stricte à la forme du pavillon, à son format général, à ses couleurs réglementaires, toutes choses qui autorisent une identification immédiate, une sociabilité donc; mais de l’autre vous excellez à toujours introduire un décalage. Ce décalage est dû à ce qu’un découpage différent— une loi   distincte — a cours dans votre réinterprétation du signe, on assiste à une rupture avec le caractère carré, rationnel et strict, du pavillon, grâce au flou, au jeu sur les textures, au couleurs moins franches et bien peu héraldiques.

Et surtout, grâce à la photo, qui génère non  seulement cette indécision dont j’ai déjà parlé, mais qui introduit le momentané, le circonstanciel, le contingent (la photo est toujours la saisie d’un instant) dans un univers de signes qui vise par essence la permanence, si ce n’est l’universalité. Qui détourne ainsi l’attention vers ailleurs : ce que vous montrez, c’est un ordre, une indication, valable dans une circonstance donnée, mais au même moment vous montrez avec discrétion toute l’étendue de l’univers dans lequel cet ordre à cours, en l’arrachant à cette circonstantialité…

Je ne détesterais pas en voir davantage quand vous en ferez d’autres encore…

Je reste évidemment à votre disposition.

Jean-Marie Klinkenberg

Sémiotique et rhétorique

Université de Liège

 

 

AMER, chemin maritime et langage pictural
                     la couleur nécessaire

Viking, Utsire, Cromarty, Forth, Tyne et Dogger…
Antifer, Casquet, Ouessant,
Iroise, Yeu…
Milne, Roméo, Sao Vicenté…
Maddalena, Elbe…
Kerguelen, Crozet…

Bâbord, Tribord
Danger isolé
Eaux saines
Cadinale Nord

Les Pierres Vertes
Le Moulin Blanc
Les Pierres Noires
Rouge de Glénan
Basse Jaune
Le Bœuf, La Fourmi, Le Chat, La Louve, La Jument,
le Soulard, la Voleuse,

Amer est un terme nautique qui signifie “repère”. Il nous vient du normand “merc” dont la traduction signifie “borne” ou “limite”. Employé au 12e siècle ce terme découlant du norrois “merki” a donné “merk” ou “merken” en néerlandais, termes qui signifient “marque” et “marquer”. Le vocable “AMER” est un emprunt aux Vikings dans une utilisation de bornage. Merque est un terme féminin qui donna “la merque”. Avec le temps le “que” final et l’article “la” ont disparu et “la merque” est devenu l’amer, point fixe à l’horizon permettant aux navires de suivre leur chemin ou cap.
Tout lien que le terrien se plaît à faire avec l’amertume n’a aucun lien sémiotique.

J’explore la peinture et l’univers de la couleur par le biais de l’hodologie (la science de la route) maritime en m’appuyant sur ma pratique de la navigation à voile (côtière et hauturière). Hodos est un terme grec qui signifie route ou voyage et par extension chemin. La route renvoie à l’itinéraire et emporte l’idée de l’action, alors que le chemin est un mot lié à la méthode utilisé pour faire cap ou route. Dans le vocable met-hode l’on retrouve le mot hodos dans la seconde syllabe, de même on peut repérer hodos dans “exode” puisque hodos peut s’écrire sans “H”. On le retrouve également dans “podologue”, ce qui renvoie aux pieds et à la marche, et peut-être dans le terme “code” qui peut faire partie de la méthode en nous donnant des indications ou des instructions sur la marche à suivre, sur les signaux et leurs informations pour structurer la route et la circulation.

En termes maritimes, la route emporte différentes idées. Il s’agit d’abord de la direction d’un bateau dont la marche est donnée par le commandant. La route correspond ensuite à la longueur du chemin parcouru ou à parcourir par le navire dans un temps donné. “Mettre en route” ne signifie pas démarrer comme on pourrait le croire mais “commencer à suivre un cap voulu”. “En route” veut dire “durant le voyage”. “Faire bonne route” emporte l’idée d’avoir les vents favorables. “Tailler la route” signifie “fendre l’eau à grande vitesse”. On “remet en route” lorsque les vents redeviennent favorables. Pour indiquer le cap souhaité l’on “donne la route”.

En mer, la route se compose d’un langage de couleurs. La couleur y est nécessaire en devenant une information importante qu’il faut savoir interpréter à travers différentes formalisations de la balise. La couleur par les balises définit un danger ou des eux saines et informent de la trajectoire à suivre. Des vertes, des rouges, des rouges et noires, des rouges et blanches, des jaune et noires ponctuent les côtes de la mer d’Iroise dessinant un chemin.
De nuit la couleur quitte le pigment pour une lumière verte, rouge ou blanche dont le rythme traduit l’information de la journée en langage nocturne par un rythme à éclat, à occultation ou isophase dans un tempo donné.

Par le phare, la couleur devient parfois à secteurs, projetant trois couleurs sur la mer. Si le phare est parfois vu comme une simple tour devant signaler la côte d’un faisceau lumineux, il est beaucoup plus que cela, relevant d’un véritable don architectural. Tous sont différents dans leur architecture, la couleur et la forme de la pierre, la couleur qui les différencie et permet de les voir de loin par leur contraste tranchant de blanc et de rouge ou de noir et de blanc en bandes horizontales ou en spirales. Regardez les phares attentivement, observer les balises, toutes et tous possèdent leur propre anatomie propice au rêve.

La couleur des pavillons signalétiques sont une manière de communiquer universellement par une association de deux ou trois couleurs qui transmettent des informations par le biais d’un nom codé. Ce code se compose des 26 lettres de l’alphabet : par exemple “O” “Oscar” signifie “un homme à la mer”, “F” “Foxtrot” veut dire “je suis désemparé, communiquez avec moi”…

La couleur se lit aussi dans le ciel et les nuages, sur la mer de l’aube au crépuscule annonçant le temps à venir. Elle est utilisée pour matérialiser la force du vent sur les fichiers météo. La couleur est donc nécessaire pour être vue, pour traduire un signe qui préservera d’un danger ou en avertira. La couleur devient amer ou repère de l’espace maritime, fait espace, devient l’espace pictural de ma toile.

Les peintures que j’utilise sur mes spis sont des acryliques, des encres ou des huiles. Le spinnaker est une voile ballon quadrillée, utilisée aux allures de portant, que je récupère sur les pontons, auprès des voileries lorsqu’elles sont usées, déchirées, afin de leur donner une seconde vie et d’avoir un support qui tisse un lien avec le sujet maritime. J’y associe un travail de photos que je prends en mer en m’attachant sur les reflets sur la mer en y recherchant une forme géométrique, lyrique, fantasmagorique se peignant sur la mer par le bais du vent, du courant et de la nuit.

Le mot spinnaker vient peut-être d’une remarque faite en anglais lorsque, pour une régate, le propriétaire du Sphinx coupa son foc ballon pour lui donner une nouvelle structure. L’un des équipiers s’écria alors “It will maker her spin” – “elle va le faire tournoyer comme une toupie“. Le “spin maker” devint peu à peu le spinnaker. C’est ainsi que la voile dite le “vent arrière” cher aux peintres Gustave Caillebotte et Paul Signac devint le “faiseur de tours”.

Qu’est-ce que la couleur, que nous dit-elle ?
Si pour certains elle est une peur, ici elle devient rassurante. Le titre de mes œuvres leurs donnent un aspect énigmatique par le jeu qui s’installe entre eux deux :
Danger isolé” : de quoi veut-on nous préserver ?
La Foumi” : qu’est-ce qu’une fourmi fait en pleine mer côtière ?
Oscar“, “Foxtrot“, “Tango“, “Zulu“, “Roméo” : quel code secret faut-il déchiffrer ?

… un homme à la mer…
… communiquez avec moi, je suis désemparé…
… message lumineux compris…
… je jette mes filets, j’ai besoin d’un remorqueur…
… message reçu…

La couleur devient l’appel de la communication faisant se poser des questions. L’art en effet ne donne pas de réponses mais est là pour faire réfléchir.


 

Sea marks, sea way and pictorial language

I invite you to an open sea voyage through a poetic gaze on the various maritime signs that mark out its route. ” SEA-MARK, sea way and pictorial language”, connects three technical aspects of the sea: beacons, flags, and Marie-Pierre Planchon’s weather forecast on French national radio channel France Inter.

My research is rooted in the combined notions of picture/title/the viewer’s gaze and odology (the science of pathways). Through the association of ink as a medium, on spinnaker as a support, and photography with sea charts and satellite images, I combine cool geometrical (that of Mondrian) with lyrical abstraction (such as Kandinsky’s).

Each element is nailed on stretcher, being bound together at the back with lengths of marine rope.

The title, as an isotopy of sea language, splits the picture through its contact, becomes an anthropological reference, referring to the voyage, the far away, the place and the nonplace.

The meaning of those known, forgotten or fading signs is reiterated by the titles, which refer to a weather zone (Cromarty, Forth, Tyne, Dogger), a beacon, (isolated danger), or a flag (I need a pilot). Those pragmatic, reassuring or frightening objects, acquire an oneiric dimension through the pictorial touch. It turns the viewer (whether initiated ar not) into a “spect-actor” of the work of art, because he brings his own contribution, a purely aesthectic and sound-based (through the title) pleasure to some, a far more sophisticated one to the sailors furnished with more keys to fully understand the picture, who can fully savour the work through their personal experience of the described phenomena.

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