J’aimerais partager avec vous une dérive singulière. Et vous parler de son auteur Guy Debord.
Guy Debord est à l’origine du mouvement situationniste en 1957 et propose l’idée d’une psychogéographie vers un urbanisme unitaire.
Il s’agit d’aller se balader dans les villes, de les “conquérir” et d’y aller sans but autre qu’une promenade aléatoire dans les rues, et de réfléchir sur les influences que les atmosphères exercent sur le caractère de chacun.
L’auteur nous parle de la ville en tant que marchandisation de l’espace, un espace où le rythme s’accélère. Il s’y promène, y erre, d’un lieu à l’autre et recrée des cartes, ne montrant que son parcours, ses arrêts dans des lieux spécifiques. C’est ce qu’il nomme les “cartes psychogéographiques” et écrit une “Théorie de la dérive” dans la lignée de la “Théorie de la démarche” de Balzac en 1829 et de “L’art de se promener” de Gottlob Schelle en 1802 .
Dérive, en mer le mot signifie que partant d’un point A vers un point B sans tenir compte du courant l’on va se retrouver en B’.
Le courant en effet nous emporte tel un morceau de bois flotté, vers un ailleurs, au grès des flots, il vogue, emporté par les vagues. Le courant varie en force et en direction toutes les 6 heures. Il faut savoir attendre la renverse ou la contrer pour avancer. Il faut aussi savoir comment orienter l’axe du bateau pour arriver. C’est ainsi que la route se décline en route de fond et route surface. La route de fond c’est la route que suit le bateau. Si l’on trainait l’ancre derrière nous, nous constaterions sa trace dans le sable.
Si l’on ne suit que cette route de fond, le vent et le courant auront vite fait de nous jeter sur la côte. Ou de nous faire amerrir sur Belle-île plutôt que Groix, Ouessant plutôt que Molène. Ou encore louper Plymouth et arriver sur Dunkerque… Il faut ainsi tenir compte de la dérive du voilier due au courant et adopter une route surface.
Pour simplifier, si je dois faire cap au 90° et que le courant me pousse vers le sud au 95° je vais faire un cap au 85° et ainsi être certaine d’arriver à un cap situé au 90° et ne pas louper Paimpol en contrant une dérive de 5°.
La dérive est donc l’écart entre le cap voulu et la route suivie.
Dérive du latin derrivare “sortir du ruisseau”. Selon Emile Littré le mot “dérive” viendrait de l’anglais “to drive” pousser par le vent, dériver, mais aussi de l’allemand treben issu du vieil allemand “triban” et du sanscrit “tar” qui signifient “traverser, emporter par les vents et les courants”.
Dériver se dit aussi de l’action de limer la rivure d’un clou pour le faire sortir de son trou ou d’une roue que l’on veut chasser de son pivot.
La dérive sur un dériveur ou la quille sur un voilier permet au bateau de remonter au vent et de garder son axe de manœuvre et ainsi de ne pas avancer en crabe. Sur les dériveurs la dérive est rétractable, on l’ôte au vent arrière car à cette allure elle ne sert plus à rien.
Ainsi lorsque Guy Debord dérive dans Paris, il se laisse aller de ruelles en venelles, de rues en avenues, au grès des humeurs et des lueurs sans aucune destination précise.
Sans tenir compte des panneaux de la signalétique ou au contraire peut-être en suivant une indication imprévue qui l’emmène l’emporte vers un ailleurs.
à suivre…