Aujourd’hui samedi 30 septembre, sortie en J80. équipage réduit quatre à bord, temps gris, ciel gris, mer grise, belle lumière, pétole, mer d’huile.
GV, genois, puis spi au retour.
La sortie d’aujourd’hui est une réflexion sur le temps où l’on attend le vent. Un souffle, une très légère brise. La mer monte pendant encore une heure, le courant dans le nez et le peu de vent au près nous nous dirigeons vers la sortie de la petite rade vers la grande rade. Le temps s’étire et s’allonge. Sous génois et Gv, assise au pied de mat, j’ai le temps de contempler la rade et son architecture, ses grues bleues qui lui donnent un air surréaliste. Chercher le vent, chercher la finesse des réglages, s’éloigner du vent pour tenter de capter son souffle propulseur. Au loin se dessinent quelques risées. Un brin d’air arrive dans la grande rade. Je prends la barre et passe le Homet sans m’en rendre compte et rentre en grande rade.
Arrivé à « la Truite » (une balise rouge bâbord située à la sortie de la passe de l’Est de la grande rade) nous virons de bord, abattons, empannons, hissons le spi, roulons le génois, amorçons la descente vers un retour au port.
Transformer la navigation en œuvre d’art c’est pouvoir mettre en scène toute la chronologie de cette manœuvre sous spi asymétrique. Le numéro un va à l’avant, sort l’amure (ici sur bâbord), l’amène derrière le génois et la pose sur l’autre bord à tribord dans l’alignement du bout dehors. A l’arrière, au piano, le régleur sort le bout dehors dont nous avons préalablement réglé les distances sur la drisse, les embraques se positionnent à l’écoute du spi. La barreur lance « ça monte », la numéro un hisse le spi plein vent arrière limite fausse panne (avant le degré d’empannage). En même temps l’embraque borde son écoute. Le piano enroule le génois.
Le barreur et l’embraque sont en dialogue constant sur ce qu’ils ressentent respectivement à la barre et à l’écoute pour agir sur la tension et l’équilibre du voilier. Aujourd’hui, il n’y a pas de vent mais par vent fort la communication est constante. On monte pour prendre de la vitesse, on descend pour remettre le bateau à plat.
Durant l’empannage (virement dos au vent) le numéro un va à l’avant, récupérer l’amure qui devient l’écoute en changeant de bord pour l’aider à passer. L’embraque un choque toute son écoute, l’embraque deux récupère le tout rapidement, en même temps que le numéro un aide la voile à passer en tirant sur cette même écoute.
Pour affaler le spi, l’on se place vent arrière pour laisser le vent s’échapper. On déroule le génois. Le numéro un va sur l’avant attraper l’amure en même temps que l’embraque choque toute l’écoute et que le piano choque la bout dehors. Le numéro un attrape l’écoute, ramène l’amure au point d’écoute, le piano lâche la drisse, le spi tombe. On le récupère sans qu’il tombe à la mer. Il faut alors lutter avec une immense puissance et un grande rapidité d’action.
Aujourd’hui pas ou très peu de vent. A cette allure (en terme de vitesse) on entend bien le bruit du winch qui crisse lors du réglage. L’on peut laisser un peu vagabonder ses pensées. Attention pas quand on est au réglage du spi, car la moindre inattention provoque sa chute, son faseyement et tout peut partir au tas. Il n’y a pas de vent, c’est moins embêtant mais cela aurait pu être moins marrant. Quelques actions sur les écoutes et à la barre et le spi se regonfle et c’est repartie.
détail de la rade de Cherbourg
Sortir sans vent demande plus de concentration pour une recherche des réglages en finesse. Plus d’attention parce j’ai vite fait de me déconcentrer si je ne suis pas à la barre. Prendre connaissance du plan d’eau et de son espace, prendre connaissance des repères lors des virements de bords et des empannages. Où est le vent que je cherche, où est l’angle de ce vent que je dois reprendre après un virement. Reprendre ses repères. Bien regarder avant les manœuvres. Réapprendre à se diriger dans l’espace en fonction du vent. Le fait de virer de bord ou d’empanner occasionne un mouvement du barreur qui change de place en même temps. C’est cet instant qui, au début, peut être perturbant et occasionner un décalage entre la vitesse et les perceptions de l’espace alentour. Retrouver le vent sur l’autre bord. Retrouver le paysage. Ne pas confondre rapidité et précipitation.
Afin de questionner cet ineffable du vent et le temps qui s’allonge j’imagine une carte extensive. Une carte qui a la possibilité de se rétracter et de se contracter selon la force du vent. Si par moment l’on peut faire plus de quatre aller retour en rade durant une heure, il y a des jours, comme aujourd’hui, où l’on met deux bonnes heures à faire ce même aller retour. Le temps se dédouble.
Je travaille alors sur différents projets cartographiques pouvant montrer cet allongement temporel. J’utilise des objets inhabituels pour construire une carte, en utilisant des filets et du bout. Je pars de la carte de navigation des îles Marshall utilisée par les Maoris, construites avec des brindilles pour indiquer la direction du vent, des courants…
https://detoursdesmondes.typepad.com/dtours_des_mondes/2009/01/stick-charts-marshall-island.html
à suivre…