Hodos chemin cheminement route voie way road

C’est en découvrant John Brinckerhoff Jackson au travers des écrits et conférences de Gilles A. Tiberghien et des artistes marcheurs que je me suis questionnée sur l’idée d’une hodologie maritime. Le mot hodologie vient du grec hodos, et signifie route et voyage, et logos, la science, renvoie à l’étude du chemin. Cette science questionne notre manière d’appréhender l’espace et concerne particulièrement les routes terrestres. Elle étudie l’impact des routes et des voyages sur l’espace et le paysage et inversement, les conséquences de ces derniers sur les chemins et les expéditions, sur notre psychisme.

Jean-Marc Besse dans son livre « Le goût du monde, exercices de paysage » pose quelques questions sur la manière d’appréhender l’hodologie : « 1) Comment chemins et voyages contribuent-ils à structurer objectivement, concrètement, les paysages et les espaces ? 2) Comment contribuent-ils à structurer et orienter la perception et la représentation des paysages et des espaces ? 3) En quoi une réflexion sérieuse sur les routes et les voyages contribue-t-elle à structurer une certaine forme de pensée, voire de pensée philosophique, à propos du monde ? Qu’est-ce que penser le voyage et le chemin en tant que points de vue sur les choses, sur les idées et sur le monde en général ? Qu’est-ce que ces points de vue apportent à la pensée et à l’action sur le paysage ? »

Je me suis donc interrogée sur la route en mer et le paysage maritime, côtier dans un premier temps. On y voit un contre horizon une fois en mer, comme le dit Gisèle Grammare. La terre vue à partir de la mer. Ce qui va m’intéresser se sont les balises et les phares qui nous informent sur l’état de la route maritime, où aller pour éviter de faire côte et de faire naufrage sur un écueil. De plus les phare et les balises sont des architectures, des sculptures, des peintures. De véritables œuvres qui inspirent les auteurs dont Victor Hugo qui écrit lors de séjour à Guernesey :

« La mer dans les anses et les baies est égayée par les corps-morts, grosses bouées bariolées en pain de sucre, quadrillées de rouge et de blanc, mi-parties de noir et de jaune, chinées de vert, de bleu et d’orange, losangées, jaspées, marbrées, flottant à fleur d’eau.

Mais d’abord un point sur les routes, les chemins et les voies. Car hodologie dans lequel l’on retrouve aussi le mot podos, les pieds, renvoie à la marche, au déplacement, au mouvement mais pas seulement.

John Brinckerhoff Jackson se demande s’il est juste d’utiliser le mot « route » pour définir le déplacement et l’hodologie. En effet « Road » (route) est un mot “récent”, apparu à l’époque de Shakespeare. Il s’emploie pour identifier « le voyage à cheval ». L’auteur pense alors que « way », la voie, est toute tracée pour une définition plus exacte de l’hodologie. « Way » signifie « chemin » mais aussi « direction » et par extension, « projet » et « façon de faire ». Nous « avons notre manière à nous » (have our way), nous « faisons les choses d’une certaine façon » (do things in a way), nous « suivons un mode de vie » (a way of life). Les moyens divers et variés (ways and means) évoquent les ressources dont nous disposons pour arriver à nos fins et, de ce fait, hodos contient deux mots qui en portent la marque : exodus (exode) qui désigne le départ et method (méthode) (avec hodos à l’intérieur de la deuxième syllabe), un moyen (way) d’action régulier ou systématique.

« Way » en somme est le moyen par lequel une fin, un but, peuvent être atteints. »

Hodos : met hode, ex hode, pod hos, il me semble alors envisageable d’étendre le mot « code » à hodos, puisque ce dernier intègre des repères ou signaux visuels servant au parcours maritime. Au-delà d’un ensemble de règles et de loi, de principes, le code est un système de symboles permettant de transmettre un message, d’interpréter une information importante que l’on soit en mer ou à terre, en voiture par exemple. Si la mer est un espace de liberté par excellence, il s’agit aussi d’un espace très codifié pour la circulation des navires, obligeant à classer les phénomènes afin de les décrypter sur des cartes et ainsi de bénéficier de repères côtiers.

Je me tourne alors vers les dictionnaires pour comprendre l’étymologie des mots. Un cheminement de pensée que j’aime car l’étymologie est la racine, l’origine même des mots et parfois très symbolique, elle me permet d’approfondir la valeur d’un mot. Quelle différence va-t-il me donner entre la route et le chemin ? Vais je trouver des indices entre méthode et déplacement.

Le mot chemin, du latin camminus, est une voie de terre pour effectuer un trajet d’un lieu à un autre. Le mot « chemin » est employé dans le sens d’un moyen menant à un but ou à un résultat. Ainsi : « faire son chemin » signifie réussir ; « aller le droit chemin » veut dire procéder avec droiture ; « montrer le chemin » suppose de donner l’exemple. Le chemin semble donc bien lié à une méthode pour s’orienter.

Quant à la route, du latin via rupta, ce mot signifie voie frayée. Il s’agit d’une voie de communication artificielle terrestre, possédant un revêtement dont la résistance est suffisante pour supporter des véhicules. La route est un espace que parcourent les cours d’eau et les astres.L’on parle donc bien ici du déplacement.

La voie, du latin via est le parcours suivi pour aller d’un point à un autre. Il s’agit du chemin utilisé. Ainsi « prendre une mauvaise voie » signifie que l’on s’est trompé de route.

En anglais way englobe le chemin et la voie, alors qu’en français, il y a deux mots distincts, dont l’un renvoie au moyen utilisé pour prendre la bonne direction, et l’autre à sa conséquence active pour suivre l’itinéraire.

Le trajet est actif et équivalent à la route et au déplacement, alors que le chemin est le résultat d’une réflexion topologique, stratégique, tactique.

En mer, quand j’ai passé mon permis hauturier, l’on m’a appris à différencier la route de fond de la route surface.   La route de fond correspond à la route que suit réellement le voilier. Il s’agit du sillon que l’on verrait dans le sable si l’on traînait l’ancre. La route surface correspond à l’axe dans lequel on positionne le voilier pour contrer les dérives dues au courant et au vent, afin de suivre la route de fond. Dans un autre cas on risque fort de louper l’Irlande ou de jamais atteindre la Corse. Car les vents et courants occasionnent des dérives et même si l’on suit bien son cap au 90 par exemple, nous n’y arriverons jamais sans la route surface. Mais l’on se retrouvera à faire un cap au 120° ou 60° par exemple. Et même si l’on dévie d’un ou deux degré, de 90 à 92 ou de 90 à 88 on loupe le port de destination.

Continuant mes recherches sur l’origine des mots, Gérard Janichon me parle d’un livre qui attise ma curiosité. Il s’agit de Pol Corvez et de son magnifique Dictionnaire des mots nés de la mer, les termes issus du langage maritime, aux éditions du Chasse-Marée. Jamais je n’ai fais le lien avec tant de mots issu de la mer à mon insu. Je me précipite aux mots qui me retiennent pour ma recherche. R comme Route.

“La route en mer, dit-il, c’est d’abord la « direction du navire dont la marche est prescrite par le commandant et sur laquelle le timonier gouverne, ou dont il se rapproche le plus si le vent ne lui permet d’y gouverner. »

La route c’est la longueur du chemin parcouru ou à parcourir dans un temps donné. Quand on dit « Se mettre en route », ce n’est pas démarrer mais « commencer à suivre un cap désiré ».

Le navire est en route quand le vent lui permet de gouverner selon le cap désiré. « En route » c’est le commandement donné au timonier de gouverner au cap désiré.

Quand on dit « Donner la route » cela indique le cap à suivre. On « remet en route » si les vents ne sont pas favorables.

En résumé le chemin serait alors la route surface ou la méthode pour atteindre le but, l’objectif, la destination avec les calculs de marées rigolos (en Atlantique et Bretagne particulièrement), et la voie s’apparenterait à la route de fond, l’itinéraire suivi durant le mouvement.

Le chemin sert à organiser le territoire. En ce sens, il est une méthode permettant d’y installer des signaux pour s’orienter, des phares, des balises des rythmes lumineux.

L’hodologie concerne des choix techniques mais aussi des choix sociaux et politiques. Plus généralement, la question de l’hodologie est celle de la réalisation de paysages qui soient vivables et habitables pour les humains. La fabrication des routes entraîne des questionnements sur l’organisation, la gestion et le contrôle de la circulation, ainsi que d’autres relatives à la manière dont les humains se déplacent et réagissent au déplacement. A terre, comme le dit J. B. Jackson, le chemin se construit selon deux axes : l’un est vernaculaire, bâtit par les habitants, et l’autre est politique, proposé par l’Etat.

En mer, je distingue un chemin qui se construit par la disposition des phares et des balises afin de se localiser dans l’espace et d’y définir les dangers,et les routes sures, profondes, sans roches à fleur d’eau qui couvrent et découvrent avec la marée.

Un chemin suggéré par les cartes météorologiques afin de déterminer la force et la direction des vents et de la mer,et de faire des choix tactiques et stratégiques en fonctions des flux et courants. Un chemin pour lequel il faut des cartes marines, des plans au plus proche de la réalité. On n’est plus dans la vision la moins imparfaite de l’espace mais la plus proche, la plus vraie. Il faut des pilotes avec des instructions nautiques, comment naviguer de nuit, de jour au fil des rythmes lumineux.

Un troisième chemin, celui des nuages, annonçant le temps à venir. Un chemin poétique et tactique.

Il y a ainsi un chemin naturel à l’intérieur duquel l’humain y dispose des marques lui permettant de cheminer.

(extrait de ma thèse en arts plastiques “Amers, chemin maritime et langage pictural)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.