Une bataille de couleurs
Bâbord, Tribord
Ba si rouge et Tricot Vert. Voici le nom des balises vertes et rouges. Vert à droite et Rouge à gauche mais pas partout. Il y a deux zones : La zone A (l’Europe et l’Afrique) et la zone B (l’Amérique, une partie de l’Asie, les Antilles et le Pacifique). En zone A, les balises sont vertes à droite et rouges à gauche. En zone B elles sont vertes à gauche et rouges à droite.
Basirouge et tricotvert est la contraction des syllabes des composants des balises avec leur forme à leur sommet et leur couleur. Ba si rouge signifie bâbord silindre rouge et tricot vert est la traduction de tribord cône vert.
Ces couleurs correspondent aux feux de routes des navires et l’orientation pour entrer au port. Vert sur vert en entrant et vert sur rouge en sortant. C’est à dire que le coté du feu vert du bateau doit être du côté du feu vert d’entrée de port en entrant. Et inversement en sortant, le côté du feu vert dit coucou à la balise rouge en sortant.
Au début de la création des balises, le code signalétique de nuit était le même que celui que l’on connaît aujourd’hui, c’est-à-dire vert à droite et rouge à gauche. En journée en revanche, la lumière rouge se transformait en balise noire et la lumière verte en balise rouge. La couleur rouge passait donc d’un bord à l’autre entre le jour et la nuit, tout en cédant sa place à une couleur noire. Quant à la lumière verte, elle s’évanouissait à l’aube.
Pour mes compositions je joue avec ces couleurs en les associant aux photos des reflets pris en mer la nuit. Reflet rouge, reflet vert dansent avec les risées et créent des formes de petits lutins maritimes ou autres êtres lumineux du monde des rêves et de l’eau. J’aime ce sillage cinématographique de la nuit sur la mer. Dans la nuit, au loin, les rythmes lumineux annoncent la terre et ses dangers. Je compte les éclats blancs au large pour savoir de quelle balise il s’agit. Il y a le faisceau du phare qui du tourne. Ar Men au loin. Puis tous ces petits points rouges qui ponctuent la côte. Rouge, vert, rouge rouge vert. Un temps chaloupé de bossa nova. Entre rêve et concentration, si on longe ou si on entre, si on est loin ou si on est proche.
Dans « L’eau et les rêves », Gaston Bachelard explique comment et pourquoi la rêverie naît au travers de l’eau. C’est parce que, dit-il :
« Certaines formes nées des eaux ont plus d’attraits, plus de consistance, plus d’insistance : c’est que des rêveries plus matérielles, plus profondes interviennent, c’est que notre être intime s’engage plus à fond, c’est que notre imagination rêve, de plus près, aux actes créateurs. Alors la force poétique qui était insensible dans une poésie des reflets, apparaît soudain ; l’eau s’alourdit, s’enténèbre, s’approfondit, elle se matérialise. Voici que la rêverie matérialisante, unissant les rêves de l’eau à des rêveries moins mobiles, plus sensuelles, voici que la rêverie finit par construire sur l’eau, par sentir l’eau avec plus d’intensité et de profondeur.
Je traite la photo comme de la toile. Une fois imprimée, je la tend sur le châssis et l’assemble à la peinture sur voile de spinnaker. Sur elle je peins la couleur de la balise ou je transpose son rythme nocturne, isophase, à occultation ou à éclat.
Isophase le temps d’obscurité et identique au temps de la lumière. A occultation la lumière est plus longue que le temps noir. A éclat, la lumière est courte.
LE BOEUF ET LA FOURMI balise bâbord et tribord mer D’Iroise, photo acrylique sur spi, photo
TRIBORD, balise, encres sur spinnaker. (collection privé)
ETONNARD balise tribord Omonville la Rogue, encres sur spi, photo
Le titre alors dit le nom, toponyme de la balise, dont je parlerai plus en détail plus loin.
Bâbord / tribord, se sont aussi deux monochromes, une seule couleur. Je joue avec elles avec des huiles ou des acryliques, parfois des gouaches superposant chaque tonalité comme une octave de couleur l’une sur l’autre. Parfois je les mélange pour voir la chimie qui s’opère entre mélange et superposition.
Bien-sûr pas les huiles avec les acryliques, mais parfois les gouaches et les acryliques pour le jeu de transparence.
Le vert est plus compliqué et plus riche à la fois. Obtenir un beau vert. Je joue avec tous les bleus, tous les jaunes pour les mélanger et voir quel vert sort d’un bleu prussien et d’un jaune primaire, puis d’un jaune citron, de naples et autres jaunes. Je joue avec toute la gamme des couleurs pour obtenir tous les verts et les superposer.
La spi est une matière particulière. Les spis ont déjà un vécu et sont plus réceptif à la peinture qui toutefois doit être très liquide sur une voile pour résister au temps, surtout si elle se roule et se déroule, se hisse et s’affale. Car mes prochaines peintures seront très certainement hissables et affalables. Et non plus de petits châssis composés ou des voiles uniques tendues.
L. Wittgenstein dans « Remarque mêlées » dit des couleurs qu’elles nous incitent à philosopher : « Les couleurs semblent nous offrir une énigme stimulante, non pas irritante.
Dans certaines interprétations, seule la couleur est là, la photo et le reflet nocturne de la lumière sur la mer reste absente.
Il s’agit alors d’un solo de peinture. Et parfois un duo peinture photo. Comme un solo de piano ou un duo harpe et piano. La peinture devenant le solo de mon piano et la photo la harpe de l’océan.
Car c’est bien cette métaphore que je vois surgir au bout de mes pinceaux et à la prise photographique de la lumière sur les risées nocturnes.
Bâbord, tribord. Elles nous disent au revoir bon voyage et Welcome au port en escale.
Rouge et vert comme une bienvenue ou un « sea » you soon again.
BABORD MARQUE SPECIALE BABORD
MEN GREN, balise tribord Bretagne, (collection privé)
extrait de ma these et réflexions ajoutées à Amers chemin maritime et langage pictural (2012).