lieu dit en mer

L’on parle toujours du phare mais jamais ou plus rarement des balises. Pourtant ces couleurs nous informent de la terre et de ses dangers, nous indiquent un chemin. Comme je l’ai déjà dit nous rencontrons tricovert et basirouge, pour bâbord et tribord, mais aussi danger isolé, les cardinales, les eaux saines et les marques spéciales. Mais alors comment les différencier. Comment savoir qui est qui avec leurs petites soeurs de même couleurs ?

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Et bien les marins qui arrivaient sur zone donnaient un nom à chaque rocher, chaque côte, selon ce que la vue, le son, leur inspirait. Tient en arrivant ici on entend le bruit du galop d’un cheval, ici on à l’impression d’entendre une chèvre qui bêle, là, la côte ressemble à un chat, ici encore, la couleur du site  est particulière sur le rocher, avec le reflet du soleil le soir ou à l’aube.

 

basse jaune

 

Le marin personnifie sa côte de personnages fantastiques, nomme un coin de pêche fructueux, mais ce peut être aussi le nom d’un malheureux naufrage, un malheureux navire qui s’est échoué sur une épine à fleur d ‘eau.

C’est pour cela qu’il faut entretenir nos phares et nos balises. Au delà de leur poésie nocturne, de leur langage coloré, de leur rythme lumineux la nuit, la balise et sa couleur sont un message. “Ne passe pas par là” “prends plutôt ce chemin”,  ou encore “tu es ici”. La balise est un repère important pour ne pas se perdre, ni couler.

Alors chaque balise a son petit nom : le boeuf, la fourmi, le chat, le poulain, l’ours, la Ténarde, l’Etonnard, la Truite, Houmaizel, Tounette, Hervieu et Toutin. D’autres ont des numéros CH1, LH1 LH11, A6. D’autre encore des noms de couleurs, la Pierre Noire, La Pierre Verte, Rouge de Glenan, Basse Rouge, Men Green en breton qui signifie la pierre verte, La Moulin Blanc.

 

Chaque nom raconte une histoire, recompose un portrait de la côte, de la Terre et de ses dangers, de son histoire. Ces noms sont des contes. Ils racontent les couleurs, la flore et la faune, mais laissent imaginer les vestiges passés, les croyance en ces Saints protecteurs, Saint Pierre, Saint Paul, Saint Mathieu, Les vieux Moines. En Manche l’on y croise la balise Ophélie, comme pour nous rappeler la tragédie ou la folie de la Mer en colère et les noyades. Mais peut – être plus grave, est-ce le souvenir d’une passagère dont le bateau a fait côte.

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La Méditerranée et l’Atlantique n’ont pas les même noms. L’on retrouve des particularités géographiques et météorologiques. Les sons, les odeurs, les couleurs changent. Alors les noms nous racontent une autre histoire. Le mimosa, la Congue qui rappelle Neptune et les légendes greco romaines, la Lauze une pierre de schiste utilisée pour les toitures. La balise citadelle nous rappelle l’histoire des villes fortifiées, le tabernacle celle des croyances protectrices.

Il y a aussi les jurons du capitaine, non pas celui de Haddock, je n’ai pas croisée de bachi bouzouk mais la saoularde, la noire pute, la foraine qui nous indique l’état de foire à Terre.

La carte devient alors un voyage historique avant de prendre la Mer.

Je note soigneusement le nom des balises et leur couleur que je vais croiser sur ma route, comme un jeu de piste. BRB Basse Jaune, BYB Jaune de Glenan…

BRB Taboga, tiens un nom exotique, en effet il s’agit de l’île aux fleurs à Panama, comme pour rappeler une traversée dans l’Océan Pacifique. Je navigue dans la carte. Dans cette chasse au trésor historique. L’histoire de la mer, de la navigation, de la côte, de ses marins.

rouge de glenan

Sous Beautemps-Beauprès, ingénieur hydrographe en chef de Louis XVIII, la préoccupation toponymique est inexistante. Seul compte l’hydrographie, la géodésie et la topographie, dont l’étude minutieuse est d’une grande précision. Ses ingénieurs détériorent les relèvements toponymiques précédents, par ailleurs déjà déformés en 1693 sous Colbert. Les noms sont donnés sans aucune méthode, sans principe orthographique. Les noms Bretons sont retransmis phonétiquement et ont ainsi été dénaturés, car ils ne sont pas tous reconnaissables. Dans le numéro 1359 de 1949 intitulé “Toponymie de l’Archipel de Ouessant à Molène, je lis que Kein signifie le dos et désigne des haut-fonds. Mais Kein s’écrit Caïn, comme Abel et Caïn dans la Genèse. J’apprends que la lettre V provient de la lettre B ou M et que cette lettre peut tomber par mutation. On lit alors Mont da Rest au lieu de Mont da Vrest, qui signifie aller à Brest. Korn a C’hae qui signifie le coin du talus est devenu par erreur d’écriture et de mutation des lettres Corn Carhay ; Penn ar Roc’h s’est transformé en Penaros, des confusions naissent entre des mots tels Kouer (le paysan) et Gouer (la rivière).

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L’ensemble de la toponymie sera revue et corrigée après la seconde guerre mondiale. L’initiative revient à Henri Dyèvre, ingénieur hydrographe, nommé directeur hydrographique en 1944. Erudit du Finistère, il connaît la langue bretonne et fait tout un travail de recherche linguistique pour restituer l’âme véritable à la côte de Bretagne. Henri Dyèvre, est l’auteur d’une petite grammaire bretonne. Il s’intéresse à l’onomastique ( du grec onoma, nom) branche de la lexicologie qui étudie l’origine des noms propres. De ce fait, il est particulièrement affecté par la dégradation des toponymes, dont il affirme lui-même qu’ils ont été « recueillis sans aucune méthode ». Il ajoute : « [les noms bretons, mal compris des hydrographes et transcrits phonétiquement avec des fantaisies à peine imaginables, ont été littéralement massacrés et sont difficilement reconnaissables dans un grand nombre de cas».

Henri Dyèvre, cité dans l’article du Chasse-Marée, Histoire et Ethnologie maritime, numéro 76, éd,

Chasse marée – Armen, Douarnenez, 1993, p. 35

 Et puis il y a la balise “Comme tu pourras” comme pour nous rassurer et ne surtout pas nous mettre la pression.

 Si chaque caillou n’a pas sa balise, il a son nom.

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